jeudi 1 novembre 2018

Entre parenthèses




Elle s’appelle L. elle a 18 ans, 18 ans 1 mois et 3 jours pour être exact. Pour sa majorité elle a reçu 2 valises, non pas neuves, 2 vieilles valises un peu usées. Elle a arrêté l’école il y a 3 mois. Alors pour son anniversaire sa mère lui a demandé de partir : elle coûte trop cher et la famille ne reçoit plus d’allocations familiales. Au début elle a été hébergée par des amis. Là, elle a peur de déranger et elle n’a pas d’argent.
Oui, j’ai besoin de ta force pour m’y réfugier


Il s’appelle N. il a fui Érythrée, son pays, sa famille. Il a mis du temps pour arriver jusqu’ici, du temps, de la souffrance ; de l’esclave moderne, des coups, … il a 30 ans, doit travailler. Chez lui, tout le monde attend qu’il fasse « fortune » et envoie de l’argent, beaucoup pour eux : 50 euros par mois pour que la nombreuse famille puisse manger. Il a déjà des rides, les mains abîmées et il est prêt à faire n’importe quoi
Oui, j’ai besoin de ton humour pour expulser  

Elle s’appelle S. Elle a 47 ans, réfugiée de Syrie. Elle porte toujours le voile, même si elle me connait depuis 2 ans, elle n’arrive pas à me faire voir ses cheveux et regarde toujours derrière elle. Dans mon bureau, assise et souriante, elle me parle. Et puis une porte qui claque trop fort, en 2 secondes elle est sous le bureau. Doucement je la déloge pendant qu’elle m’explique le bruit d’un fusil, le sang, les corps inanimés, …
Oui j’ai besoin de tes mains fermes pour me sentir vivante

Il s’appelle C. Il était cadre supérieur. Un accident cardiaque, plusieurs mois d’inactivité, un divorce houleux, des amis qui ne supportent pas sa dépression. Il vit maintenant chez ses parents âgés, a perdu son statut. Il commence par me dire que ça ne sert à rien tout ça, sa vie est derrière lui. Après 40 minutes où il parle, il se lève, me remercie pour mon écoute, me regarde de biais, retient ses larmes, moi aussi tellement je me sens impuissante
Oui j’ai besoin de ta sensibilité pour me confier

Elle s’appelle M. et a 57 ans. 2 ans de harcèlement moral au travail puis le burn-out, 2 ans d’arrêt. Elle se remet lentement, a perdu certains repaires et a des pertes de mémoire. Son mari ne la soutient pas, sa fille lui dit qu’il faut qu’elle se remue un peu. Elle a pris 15 kilos et n’a plus d’estime d’elle. Elle voudrait être utile pour quelqu’un
Oui j’ai besoin de ton emprise pour m’y oublier

Il s’appelle, elle s’appelle … tous ces inconnus qui m’ont marquée et qui défilent dans mes nuits agitées, il y a tant d’exemple, d’humains que je contemple, écoute bienveillante, … il s’appelle, elle s’appelle, …

Oui souvent ce travail me passionne et m’empoissonne,
Oui comme des coups de poignards ou des paroles qui résonnent
Oui ça me poinçonne le cœur et m’émotionne
Oui j’ai besoin de ton envoûtement pour papillonner
Oui j’ai besoin de ta domination pour m’abandonner

Ce que je fais ne sert peut-être à rien
Juste écouter pourtant ça fait du bien
Je continue et reste là en soutien
C’est pour ça que de toi j’ai besoin

Je fais quoi dans la vie ?
J’absorbe la misère
Les expulsés, Ernest Pignon Ernest


3 commentaires:

  1. Après elle, cette chienne de vie, on a tous besoin d'une force,de l'humour,de mains, d'emprise; d'écoute.

    RépondreSupprimer
  2. oui je pense aussi Équilibre... il faut juste trouver l'homme qui va avec ... merci de votre passage ici

    RépondreSupprimer
  3. Ce que vous faite ne sert pas à rien... ho ! non écouter ces gens qui ne le sont plus c'est leurs apporter un peu de lumière dans ce tunnel sombre ou ils avancent doucement, nous avons tous besoin un jour d'une main tendu
    Merci pour eux ...bon courage à vous
    M.d'Art

    RépondreSupprimer