RÉCLAMATION
des
COURTISANES PARISIENNES
Adressée
à l’Assemblée
Nationale
Concernant l’abolition des Titres déshonorants tel que Garces, Putains,
Toupies, Maquerelles, etc.
Justement satisfaites du Décret
merveilleux émané depuis quelques jours de l’Assemblée Nationale, qui proscrit
la livrée, et généralement tout ce qui porte l’empreinte odieuse de
l’esclavage ; désirant voir anéantir ces mots obscènes, dont
l’inconséquence française entache si fréquemment la réputation des généreuses
Patriotes, qui pour la conservation précieuse de leurs maris passés, présents
ou futurs, se livrent courageusement à l’ardeur bienfaisante de jeunes
Célibataires ; animés de la louable intention de ne voir régner la licence
que dans les actions et jamais dans les paroles, les Courtisanes Parisiennes se
sont assemblées aux Grands Cordeliers (1) , selon les règles du corps
constituant, c’est-à-dire sans aucune distinction, pour concerter les moyens
les plus prompts et les plus surs de réprimer dans notre langue tout ce qui
porte atteinte à la bienséance et au maintien de l’honneur ; pour réclamer
l’abolition de ces termes impropres, qui compromettent à la fois la délicatesse
des deux sexes, et poursuivre avec sévérité l’insolent qui contreviendroit aux
règlements que l’on prendroit à cet égard.
Mademoiselle Testard, Marchande à
l’entrée de l’Assemblée Nationale, familiarisée (2) depuis long-temps avec tous
les membres du Corps législatif, réunit, à ce titre, le plus de suffrages, et
obtint le fauteuil de Présidente.
Madame Sicard dont le mari, qui
n’est pas seulement entrepreneur d’écritures, a raté plusieurs fois la place de
Secrétaire dans différents Districts, Mad. Sicard, disons nous, en parvenant
d’emblée at Secrétariat, a offert la preuve que les Dames se rendroient autant
de justice entr’elles, que les hommes entr’eux.
Après une légère confusion, qui
fut le seul effet des applaudissements multipliés, Mad. La Présidente ouvrit un
discours dont nous rapportons les propres expressions.
Discours de Mademoiselle Testard, à l’Assemblée des Courtisanes Parisiennes,
« Mesdames,
D’après les abus innombrables que
détruit dans sa course le torrent législatif, aurions-nous la douleur de voir
subsister encore long-temps ces termes injurieux, ces propos indécentes, dont
l’éjaculations incendiaire expose à tout moment le nom, l’asile et la fortune
des Courtisanes parisiennes et les éloigneroit du plaisir de se communiquer, si
l’ascendant de la passion ne l’emportoit sur les désagréments moraux ?
Non, Mesdames ; la prépondérance de notre sexe parviendra sans peine à
l’épuration d’une langue qu’une société médisante, une société mercenaire
(l’Académie Française) n’a pas craint elle-même de dégrader jusque dans ses
frasques didactiques. Cette réforme ne
doit pas seulement porter sur les noms appellatifs ;
il est des noms propres dont la saleté héréditaire choqueroit l’oreille la plus
amie de la révolution. Par exemple le mot de viterne (3) doit il frapper les nôtres plus long-temps ? qu’il
subisse le sort de la corporation où a figuré jusqu’ici l’individu qui le
porte. J’en citerois une foule d’autres ; mais je m’interdis les
personnalités masculines. L’observation que je fais à cet égard, engagera, sans
doute, Messieurs, ou Mesdames les mal-nommées, à ne plus conserver des noms
dont la déclinaison hideuse est pour l’oreille et pour les mœurs le comble de
l’opprobre. Quant aux noms communs, quant à ces épithètes dégoutantes dont nous
sommes si souvent les victimes, malgré nos complaisances, aidez-moi, Mesdames à
me les rappeler tous, et que leur liste abhorrée soit remise à l’Assemblée
Nationale pour être pris par elle le décret nécessaire à leur abolition. »
Ce discours prononcé avec toute
la force et l’énergie dont la matière étoit susceptible, fit l’impression la
plus forte. On partagea vivement le noble enthousiasme de Madame le
Présidente ; et toute la salle retentit long-temps des acclamations de
l’Assemblée.
Madame André, dont le
développement, la construction, les grâces font honneur au créateur, Madame
André dont les intrigues sont aussi grand nombre que les caractères
Typographiques de son mari, demanda la parole.
Cette courtisane plus
familiarisée qu’aucune autre avec les termes contre lesquels on réclamoit, en
offrit l’énumération (4), d’autant plus volontiers que, victime de sa foiblesse
avec un clerc de Procureur, elle s’entend reprocher tous les jours une maladie
contagieuse qu’elle a grand soin de communiquer à qui veut la payer (5).
Discours de Madame André.
« Mesdames,
Conasse est le premier mot que
j’offre à votre indignation. Ce mot terrible, fait lui seul pour révolter
toutes les Courtisannes, j’ose dire même celles à qui il convient le plus, nous
est adapté sans cesse par des milliers de Petits-maitres impuissants qui ne
devroient trouver dans leur grandeur que le reproche de leur petitesse. J’en
appelle à Mesdames de Guéménée, de Monaco, Le Jay, de Lamballe, Granvalle,
Dugazon, Contat, Ballainviliers, de la Rive, Vitry, Reims, Michel, etc. etc.
etc. combien de fois cette épithète outrageante n’a-t-elle pas noirci leur
réputation ?
Un autre mot, non moins injurieux
que le premier, est celui de Tétasse, Tètasse, Mesdames, est lui seul aussi
dégoutant que tous les autres. La mortification tacite qu’éprouvent à chaque instant
celles que l’âge ou l’excès de la jouissance ont rendus Tétassères, n’est-elle pas assez douloureuse, sans y ajouter le
reproche de cette malheureuse situation ? »
Madame André alloit continuer son
énumération, lorsqu’elle fut interrompue par Manon St Pré, dont voici les propres paroles :
« Et foutre ; Mesdames,
pourquoi voulez-vous interdire ce foible moyen de vengeance aux malheureux
individus que le Ciel a privés de ses faveurs. S’il n’est point de sale
jouissance, il n’est point de sales propos. Au surplus, notre nature est de
jouir, et notre délicatesse, de pardonner. Foutons, branlons, enconnons-nous,
laissons-nous enculer, et nom d’un Dieu ! ne nous plaignons jamais que
d’être mal-foutues »
Ce discours excita des
applaudissements et des murmures d’improbation d’improbation ; et la
motion de Manon St Pré alloit devenir orageuse, sans l’intervention de MM. Les
grands Cordeliers. L’aspect de ces Membres respectables, suspendit toute
contradiction ; et la discussion a été remise au lendemain.
(1) On
assure qu’il n’a pas encore été rogné à ces Messieurs, que les revenus
(2) Instruire,
sans doute, du nom de Piron, à Madame ***, que, pour faire des vers, il falloit
avoir des couilles au cul : Mademoiselle Testard a présumé qu’il en
falloit autant pour faire de bonne prose ; delà, ses assiduités auprès des
Représentants de la Nation, et parmi les douze cents dont elle peut se flatter
de connoitre à fond les deux tiers, aucun n’a démenti l’opinion qu’ele en avoit
conçue
(3) Me
Vi-Terne est Procateur au Parlement. Cette difformité que je me plais à croire
n’exister que dans le nom n’en a pas moins Con-Sterné Madame la Procureuse
(4) Pourroit-on
refuser de donuer en détail ce qu’on reçoit tous les jours en gros ?
(5) Consultez
à cet égard MMde Calogne et Collard, tous deux se félicitent hautement d’en
avoir été quittes, le premier pour une ceinture, l’autre pour une grammaire
Françoise. Il est aisé de voir que la parure de Vénus et les principes de
Restaut n’ont pas suffi à ces deux Messieurs, pour obtenir les faveurs un peu gangrénées
de l’ex-actrice de Beaujolais
A PARIS
De l’imprimerie de la Société
Philantropine, rue Tiron
1790
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