vendredi 1 février 2019

réclamation des courtisanes 1790








RÉCLAMATION
des
COURTISANES PARISIENNES
Adressée
à l’Assemblée Nationale


Concernant l’abolition des Titres déshonorants tel que Garces, Putains, Toupies, Maquerelles, etc.

Justement satisfaites du Décret merveilleux émané depuis quelques jours de l’Assemblée Nationale, qui proscrit la livrée, et généralement tout ce qui porte l’empreinte odieuse de l’esclavage ; désirant voir anéantir ces mots obscènes, dont l’inconséquence française entache si fréquemment la réputation des généreuses Patriotes, qui pour la conservation précieuse de leurs maris passés, présents ou futurs, se livrent courageusement à l’ardeur bienfaisante de jeunes Célibataires ; animés de la louable intention de ne voir régner la licence que dans les actions et jamais dans les paroles, les Courtisanes Parisiennes se sont assemblées aux Grands Cordeliers (1) , selon les règles du corps constituant, c’est-à-dire sans aucune distinction, pour concerter les moyens les plus prompts et les plus surs de réprimer dans notre langue tout ce qui porte atteinte à la bienséance et au maintien de l’honneur ; pour réclamer l’abolition de ces termes impropres, qui compromettent à la fois la délicatesse des deux sexes, et poursuivre avec sévérité l’insolent qui contreviendroit aux règlements que l’on prendroit à cet égard.


Mademoiselle Testard, Marchande à l’entrée de l’Assemblée Nationale, familiarisée (2) depuis long-temps avec tous les membres du Corps législatif, réunit, à ce titre, le plus de suffrages, et obtint le fauteuil de Présidente.
Madame Sicard dont le mari, qui n’est pas seulement entrepreneur d’écritures, a raté plusieurs fois la place de Secrétaire dans différents Districts, Mad. Sicard, disons nous, en parvenant d’emblée at Secrétariat, a offert la preuve que les Dames se rendroient autant de justice entr’elles, que les hommes entr’eux.
Après une légère confusion, qui fut le seul effet des applaudissements multipliés, Mad. La Présidente ouvrit un discours dont nous rapportons les propres expressions.
Discours de Mademoiselle Testard, à l’Assemblée des Courtisanes Parisiennes,
« Mesdames,
D’après les abus innombrables que détruit dans sa course le torrent législatif, aurions-nous la douleur de voir subsister encore long-temps ces termes injurieux, ces propos indécentes, dont l’éjaculations incendiaire expose à tout moment le nom, l’asile et la fortune des Courtisanes parisiennes et les éloigneroit du plaisir de se communiquer, si l’ascendant de la passion ne l’emportoit sur les désagréments moraux ? Non, Mesdames ; la prépondérance de notre sexe parviendra sans peine à l’épuration d’une langue qu’une société médisante, une société mercenaire (l’Académie Française) n’a pas craint elle-même de dégrader jusque dans ses frasques didactiques.  Cette réforme ne doit pas seulement porter sur les noms appellatifs ; il est des noms propres dont la saleté héréditaire choqueroit l’oreille la plus amie de la révolution. Par exemple le mot de viterne (3) doit il frapper les nôtres plus long-temps ? qu’il subisse le sort de la corporation où a figuré jusqu’ici l’individu qui le porte. J’en citerois une foule d’autres ; mais je m’interdis les personnalités masculines. L’observation que je fais à cet égard, engagera, sans doute, Messieurs, ou Mesdames les mal-nommées, à ne plus conserver des noms dont la déclinaison hideuse est pour l’oreille et pour les mœurs le comble de l’opprobre. Quant aux noms communs, quant à ces épithètes dégoutantes dont nous sommes si souvent les victimes, malgré nos complaisances, aidez-moi, Mesdames à me les rappeler tous, et que leur liste abhorrée soit remise à l’Assemblée Nationale pour être pris par elle le décret nécessaire à leur abolition. »
Ce discours prononcé avec toute la force et l’énergie dont la matière étoit susceptible, fit l’impression la plus forte. On partagea vivement le noble enthousiasme de Madame le Présidente ; et toute la salle retentit long-temps des acclamations de l’Assemblée.
Madame André, dont le développement, la construction, les grâces font honneur au créateur, Madame André dont les intrigues sont aussi grand nombre que les caractères Typographiques de son mari, demanda la parole.
Cette courtisane plus familiarisée qu’aucune autre avec les termes contre lesquels on réclamoit, en offrit l’énumération (4), d’autant plus volontiers que, victime de sa foiblesse avec un clerc de Procureur, elle s’entend reprocher tous les jours une maladie contagieuse qu’elle a grand soin de communiquer à qui veut la payer (5).
Discours de Madame André.
« Mesdames,
Conasse est le premier mot que j’offre à votre indignation. Ce mot terrible, fait lui seul pour révolter toutes les Courtisannes, j’ose dire même celles à qui il convient le plus, nous est adapté sans cesse par des milliers de Petits-maitres impuissants qui ne devroient trouver dans leur grandeur que le reproche de leur petitesse. J’en appelle à Mesdames de Guéménée, de Monaco, Le Jay, de Lamballe, Granvalle, Dugazon, Contat, Ballainviliers, de la Rive, Vitry, Reims, Michel, etc. etc. etc. combien de fois cette épithète outrageante n’a-t-elle pas noirci leur réputation ?
Un autre mot, non moins injurieux que le premier, est celui de Tétasse,  Tètasse, Mesdames, est lui seul aussi dégoutant que tous les autres. La mortification tacite qu’éprouvent à chaque instant celles que l’âge ou l’excès de la jouissance ont rendus Tétassères, n’est-elle pas assez douloureuse, sans y ajouter le reproche de cette malheureuse situation ? »
Madame André alloit continuer son énumération, lorsqu’elle fut interrompue par Manon St Pré, dont voici les propres paroles :
« Et foutre ; Mesdames, pourquoi voulez-vous interdire ce foible moyen de vengeance aux malheureux individus que le Ciel a privés de ses faveurs. S’il n’est point de sale jouissance, il n’est point de sales propos. Au surplus, notre nature est de jouir, et notre délicatesse, de pardonner. Foutons, branlons, enconnons-nous, laissons-nous enculer, et nom d’un Dieu ! ne nous plaignons jamais que d’être mal-foutues »
Ce discours excita des applaudissements et des murmures d’improbation d’improbation ; et la motion de Manon St Pré alloit devenir orageuse, sans l’intervention de MM. Les grands Cordeliers. L’aspect de ces Membres respectables, suspendit toute contradiction ; et la discussion a été remise au lendemain.
(1)    On assure qu’il n’a pas encore été rogné à ces Messieurs, que les revenus
(2)    Instruire, sans doute, du nom de Piron, à Madame ***, que, pour faire des vers, il falloit avoir des couilles au cul : Mademoiselle Testard a présumé qu’il en falloit autant pour faire de bonne prose ; delà, ses assiduités auprès des Représentants de la Nation, et parmi les douze cents dont elle peut se flatter de connoitre à fond les deux tiers, aucun n’a démenti l’opinion qu’ele en avoit conçue
(3)    Me Vi-Terne est Procateur au Parlement. Cette difformité que je me plais à croire n’exister que dans le nom n’en a pas moins Con-Sterné Madame la Procureuse
(4)    Pourroit-on refuser de donuer en détail ce qu’on reçoit tous les jours en gros ?
(5)    Consultez à cet égard MMde Calogne et Collard, tous deux se félicitent hautement d’en avoir été quittes, le premier pour une ceinture, l’autre pour une grammaire Françoise. Il est aisé de voir que la parure de Vénus et les principes de Restaut n’ont pas suffi à ces deux Messieurs, pour obtenir les faveurs un peu gangrénées de l’ex-actrice de Beaujolais
A PARIS
De l’imprimerie de la Société Philantropine, rue Tiron
1790



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